Newsletter #2 : Le futur de l’hydrogène, approche par sa chaîne de valeur
Bonjour et bienvenue sur Greenlight. Nous sommes Auriane, Ruben et Amaury et deux fois par mois, nous décryptons pour vous des sujets liés à l’environnement et à l’énergie. Bonne lecture !
Au programme de ce n°2 :
Actualités énergie & environnement des dernières semaines
Analyse : Le futur de l’hydrogène ? Approche par sa chaîne de valeur
Les actualités
#1 - 9 juin 2021 : Le géant pétrolier anglo-hollandais Shell a annoncé accélérer sa transition énergétique à la suite du verdict de la Cour de la Hague du mois dernier, statuant que Shell devrait réduire de 45% ses émissions carbone d’ici 2030 (vs. 2019). Shell a répondu que le groupe “relèverait le défi”. Cette décision a trait à toutes les opérations de la société. Lire l'article complet.
#2 - 4 juin 2021 : Erdogan annonce que la Turquie a effectué une nouvelle découverte de gaz naturel en mer Noire. L’enjeu pour le président turc est double : d’une part, politique, puisque sa cote de popularité a chuté ces derniers temps, notamment à cause des difficultés économiques que connaît la Turquie. D’autre part, stratégique, puisqu’Ankara aspire à devenir un acteur énergétique majeur - et par là, à alléger la lourde facture énergétique turque. Lire l'article complet.
#3 - 20 mai 2021 : Les pouvoirs publics envisagent la création d'un fonds de garantie public pour sécuriser les producteurs d'énergie renouvelable contractant en direct avec des entreprises. L’objectif est (i) de réduire le coût budgétaire du soutien public au secteur et (ii) d'accélérer la cadence des projets d’énergies renouvelables. La liste des bénéficiaires reste toutefois à clarifier. Lire l'article complet.
Analyse : Le futur de l’hydrogène ? Approche par sa chaîne de valeur
Résumé :
Hydrogène = molécule de dihydrogène, sous forme de gaz transparent.
Vecteur d’énergie, puisqu’il la transporte, l’hydrogène est aujourd’hui considéré comme une solution d’avenir pour la décarbonation, notamment en tant que moyen de stockage de l’électricité et carburant à faible impact environnemental.
4 éléments de sa chaîne de valeur : production, stockage, transport, consommation.
Introduction : Hydrogène, de quoi parle-t-on ?
La molécule de dihydrogène (H2), plus communément appelée hydrogène, est l’élément le plus léger et le plus abondant de notre univers. L’hydrogène entre notamment dans la composition de la molécule d’eau (H2O). Il ne se trouve pratiquement pas seul dans la nature mais plutôt en composant d’autres molécules.
Le dihydrogène (appelé par abus de langage “hydrogène”) seul se présente sous la forme d’un gaz inodore et incolore, qui a su trouver de nombreuses applications (utilisé par exemple dans les montgolfières au début du XVIIIe siècle puis pour propulser les fusées au XXe siècle). C’est donc un gaz déjà bien connu mais dont l’usage a été freiné pour des raisons de sécurité et d’application. Aujourd’hui, des solutions émergent pour répondre à ces freins.
De nombreuses opportunités se dessinent pour l’hydrogène mais autant de défis sont à relever. Pour mieux les comprendre, intéressons-nous à la chaîne de valeur de l’hydrogène.
La chaîne de valeur de l’hydrogène peut être divisée en quatre éléments : (i) la consommation (ii) la production, (iii) le stockage et (iv) le transport.
1. La consommation d'hydrogène 🚗
L’hydrogène, énergie du futur ?
Il est aujourd’hui considéré comme une sérieuse alternative énergétique pour la décarbonation de nos sociétés, en particulier selon quatre types d’utilisations1 :
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A. Matière première dans plusieurs processus dans l’industrie pétrochimique (utilisation dominante) : raffinage du pétrole, production d’ammoniac, production de méthanol et d’acier. L’hydrogène pour ce secteur est pratiquement entièrement fourni par des énergies fossiles d’où un fort potentiel de réduction des émissions de CO22 avec de l’hydrogène plus “propre” (cf plus bas, “la production d’hydrogène”).
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B. Dans le transport, en tant que source de force propulsive dans un véhicule. L’hydrogène permet alors d’alimenter un moteur électrique classique à partir d’une pile à combustible hydrogène, au lieu de batteries. La compétitivité des voitures à piles à combustibles hydrogènes repose sur le prix des piles à combustibles et le nombre de stations de rechargement, alors que pour les camions la priorité est la réduction du prix de l’hydrogène à la pompe. Les transports maritimes et l’aviation n’ont pas vraiment de solution de carburant à faible impact environnemental, donc l’hydrogène représente une véritable opportunité. Cet usage en est à ses débuts, mais il est très prometteur pour la mobilité lourde (camion ou bus en particulier). Son principal avantage est son gain de poids et de temps de recharge en comparaison des batteries.
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C. Dans les bâtiments, l’hydrogène peut être mixé dans les réseaux de gaz naturels (ne devant pas représenter plus de 6% du mix) existants avec le plus important potentiel dans les bâtiments multifamiliaux et commerciaux, surtout dans des zones densément peuplées, où sur le long-terme, un usage direct de l'hydrogène dans des chaudières ou piles à combustibles est imaginé.
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D. Une des principales solutions de stockage d’électricité propre (le Power-to-Power). En utilisant les techniques de stockage que nous verrons ci-dessous, le surplus d’hydrogène produit par un surplus d’électricité renouvelable est stocké, et peut être consommé dans une pile à combustible pour produire de l’électricité plus tard.
Dans une autre application, l’hydrogène et l’ammoniac peuvent être utilisés dans des turbines à gaz dans des centrales à charbon pour réduire les émissions3 (le Power-to-Gas) et dans le processus de méthanisation4.
Les politiques actuelles pour soutenir le déploiement de l'hydrogène, 2018
Source : IEA, 2020
2. La production d’hydrogène 🔧
Les sources de production du dihydrogène
La production d'hydrogène s'obtient ou bien par un procédé d'extraction chimique à partir hydrocarbures (gaz naturel (68%), pétrole (16%), charbon (11%)), ou bien par électrolyse de l’eau (5%). De ces méthodes, seule l’électrolyse de l’eau implique une production avec un impact carbone potentiellement nul.
Source : L’hydrogène : un vecteur pour la transition énergétique”, Presse des mines (2020)
Les couleurs de l’hydrogène
Parmi les nombreuses couleurs de l’hydrogène, on en retrouve 3 principales en fonction de la méthode de production. Du gris au vert, elles illustrent l’impact carbone des méthodes de production.
Analyse des méthodes de production de l’hydrogène.
A. Production à partir d’hydrocarbures 🏭 (4 méthodes)
La production d’hydrogène à partir d’hydrocarbures englobe les quatre méthodes de production les plus répandues, couvrant 95% de la production globale d’hydrogène. Ces méthodes nécessitent des températures et pressions élevées (~1000°C et 30 bars) et leurs rendements varient entre 50 et 80% selon les méthodes. Malgré de bons rendements, leur principal inconvénient est le rejet important de CO2 (en moyenne 10kg de CO2 rejetés par kg d’hydrogène produit).
4 méthodes différentes : Vaporeformage (méthane), oxydation partielle (tout type d'hydrocarbures), reformage autothermique (gaz naturel), gazéification du charbon (charbon).
B. Production à partir de l’électrolyse de l’eau ⚡️💧
Le procédé d’électrolyse de l’eau est une réaction électrochimique, qui, avec un apport d’énergie électrique, va dissocier les molécules d’eau (H2O) en hydrogène H2 et oxygène O2, notamment à l’aide d’un électrolyte (substance conductrice). Cette méthode est en voie d’industrialisation, avec des rendements autour de 65 - 90% et un impact carbonique faible voire nul. Ce procédé pèse pour seulement 5% de la production totale d’hydrogène mais, compte tenu de son faible impact environnemental, il est la solution d’avenir pour la production d’hydrogène.
Schéma explicatif de la production d’hydrogène à partir d’électrolyse de l’eau :
3. Le stockage de l’hydrogène 📦
Le stockage de l'hydrogène est une condition sine qua non pour l’utilisation de l’hydrogène à grande échelle. Sans stockage, pas d’applications de l’hydrogène.
Aujourd’hui, le stockage de l’énergie est un enjeu majeur, d’une part pour améliorer l’efficacité énergétique, d’autre part pour favoriser l’utilisation des énergies renouvelables. Et le stockage de l'électricité à travers un vecteur énergétique comme l’hydrogène apparaît comme l’une des meilleures solutions disponibles.
Le défi principal du stockage de l’Hydrogène est de compenser sa très faible densité naturelle. En revanche en termes d’énergie par unité de masse l’hydrogène est très performant (2x plus que le gaz naturel et 3x plus que le diesel). Mais en condition normale de température 20°C et pression 1 bar, pour la même quantité d’énergie il faudra plus de 700 fois plus de place pour stocker de l’hydrogène que de l’essence.
Les 3 principales technologies de stockage : gazeuse, liquide, solide
☁️ Le stockage gazeux par compression gazeuse. Il s’agit de la technologie la plus mature pour le stockage de l'hydrogène. Il existe 4 types (type 1 à 4) de réservoirs selon la matière utilisée et la pression soutenable. Aujourd’hui, le stockage par compression de l'hydrogène est utilisé dans les secteurs de l’automobile, du transport gazier et de l'industrie pétrochimique.
💧 Le stockage liquide par cryogénie. Une des technologies les plus connues avec la compression. L'hydrogène est refroidi à une température de -253°C pour atteindre une forme liquide. Environ 25-45% de l’énergie du volume stocké final est utilisé dans le processus de liquéfaction. C’est une technologie mature et utilisée principalement dans l’aérospatial (fusée Ariane 5) et dans le transport méthanier.
🗻 Le stockage solide par adsorption de métaux. Le stockage solide est en développement, constituant la technologie de stockage la moins mature des trois. L’hydrogène stocké sous forme solide serait utilisé pour stabiliser le réseau électrique en faisant office de “piles géantes”.
4. Le transport de l’hydrogène 🚚
Le transport de l’hydrogène est un procédé qui reste aujourd’hui difficile et coûteux à cause de ses propriétés chimiques, car l’hydrogène est un composé gazeux très volatile avec une inflammabilité plus élevée que d’autres carburants plus conventionnels comme le gaz naturel.
Il existe plusieurs techniques de transport, bénéficiant toutes d’une maturité déjà avancée5 :
❖ Les limites de l’hydrogène6
Malgré son potentiel et toutes les applications envisagées, l’usage généralisé de l’hydrogène dans la transition énergétique globale fait face à plusieurs défis.
💸 Produire de l’hydrogène à partir d’énergie à faible émission est coûteux aujourd’hui. D’après l’IEA7, le coût de production de l'hydrogène à partir d’énergies renouvelables devrait baisser de 30% en 2030 grâce aux coûts décroissants des énergies renouvelables et la croissance de la production d’hydrogène.
🏗 Le développement d'infrastructures d’hydrogène est lent et freine une adoption généralisée. Le prix de l’hydrogène pour les consommateurs dépend majoritairement du nombre de stations de recharge, de la fréquence de leur utilisation et de la quantité d’hydrogène livrée par jour. Pour attaquer cette problématique, cela nécessitera de la planification et de la coordination entre les gouvernements, les industriels et les investisseurs.
🏭 L’hydrogène est aujourd’hui pratiquement entièrement produit avec des hydrocarbures polluants. L’hydrogène est déjà bien présent mais dans l’industrie pétro-chimique et sa production est responsable d’émissions de CO2 équivalentes à celles de l’Indonésie et du Royaume-Uni combinés. Pour soutenir l’idée d’un futur “énergies propres”, la montée en puissance de la production d’hydrogène par électrolyse est nécessaire (voir plus haut).
🧾 Les législations limitent le développement d’une industrie d’hydrogène vert. Toujours selon l’IEA, les gouvernements et l’industrie doivent travailler ensemble pour s’assurer que la règlementation en place ne représente pas un obstacle aux investissements.
Coût de production de l'hydrogène par source de production, 2018
Source : IEA, 20208
❖ Où en est-on réellement ?
La situation actuelle est loin d’être celle imaginée pour le futur ; voici un bilan synthétique de l’hydrogène en 2021 :
● L’hydrogène représente 2% de la consommation d’énergie mondiale (60 millions de tonnes d’hydrogène produites au niveau mondial dont 0,92 millions de tonnes pour la France)9
● 95% de la production mondiale d’hydrogène est issue de gaz naturel, pétrole, charbon. Seulement 5% de la production provient de l’électrolyse de l’eau avec de l’électricité produite à partir de différentes sources (dont des énergies renouvelables)
● 90% de l’hydrogène total produit est destiné à la production d’ammoniac, d’autres produits chimiques et au raffinage du pétrole ; la montée en puissance des nouveaux usages de l’hydrogène comme opportunités pour la transition énergétique reste à venir.
Merci et à bientôt !
Merci pour votre lecture. Nous serions très heureux de lire vos retours sur ce premier numéro de Greenlight, en commentaires ou en retour de mail. Si ce numéro vous a plu, n’hésitez pas à le partager autour de vous !
© Auriane Tang, Amaury de Castelnau, Ruben Karsenti. L’analyse de cette semaine a été rédigée par Amaury de Castelnau.
Sources principales :
“L’hydrogène : un vecteur pour la transition énergétique”, Presse des mines (2020), Chapitre 1 - Les technologies de l’hydrogène.
IEA.com - International Energy Agency
Relecture par Alexandre Bocquillon, Responsable Climat et Énergies Nouvelles chez Rubis Energies (les opinions exprimées dans cet article n’engagent que les auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles des organisations citées).
Le dioxyde de carbone (CO2) un gaz à effet de serre. Les gaz à effet de serre (GES) sont considérés, à l’heure actuelle, comme les ennemis n°1 dans la lutte contre le dérèglement climatique : ils sont en effet responsables de l’augmentation démesurément rapide de la température moyenne à la surface de la Terre, elle-même responsable d’un dérèglement profond des écosystèmes terrestres. Source : Greenlight, n°1
Les politiques de déploiement de technologies hydrogène sont axées en majorité sur les questions de mobilité avec des investissement dans les projets de voitures, bus et stations de recharge. Source : IEA 2018
La méthanisation est une technologie basée sur la dégradation de matière organique (déchets alimentaires, résidus agricoles, etc.) engendrant la production de biogaz (biométhane). Source : Ademe